— Histoire

Le Rwanda est un pays d’Afrique centrale, bordé par le lac Kivu. Il partage ses frontières au nord avec l’Ouganda, au sud avec le Burundi, à l’est avec la Tanzanie et à l’ouest avec la République démocratique du Congo.

Contexte culturel et politique

Avant la colonisation, le Rwanda était fondé sur une monarchie et constituait l’un des principaux royaumes d’Afrique des Grands Lacs. Sa population était composée de plusieurs clans identifiés prioritairement par leurs ancêtres et leurs terroirs d’origine.

A partir de 1897, le Rwanda est colonisé par les Allemands et intégré dans le cadre de la Deutsch-Ostafrika (incluant le Burundi), qui fixent « frontières » et « nationalités » en conservant a priori les limites de l’ancien royaume. A la suite de la Première Guerre mondiale, l’Allemagne perd ses colonies africaines. Le Rwanda et le Burundi se retrouvent dès 1919 sous l’autorité de la Belgique au même titre que le Congo voisin. Administrateurs, militaires et missionnaires catholiques (en premier lieu les Pères blancs) participent à la transformation de ce territoire qui demeure rural et monarchique. La colonisation de la première partie du XXème siècle consacre cependant « la racialisation des rapports sociaux » [Florent Piton, 2018]

Hutu, Tutsi, Twa – La société rwandaise est alors divisée en clans eux-mêmes composés de différents groupes socio-économiques avec d’une part les éleveurs désignés sous le terme générique de « Tutsi », les agriculteurs qualifiés de « Hutu », les artisans et chasseurs appelés « Twa ». Il n’existait pas de frontières tranchées entre ces groupes, les uns pouvant devenir les autres. Ce clivage marquait une différentiation d’activité et de prestige social, avec des nuances territoriales fortes entre ces trois groupes qui partagent néanmoins la même culture, la même croyance, la même langue et une histoire commune.

Dans la lignée des discours scientistes, les Européens ébauchent au XIXème siècle une classification et une hiérarchisation complexe des populations humaines. Lors de la colonisation, ils abordent la rencontre avec les « peuples africains » dans ce cadre idéologique. Des explorateurs et scientifiques européens théorisent ainsi le mythe hamitique de populations blanches ayant migré en Afrique vers 5000 ans avant notre ère, depuis l’Europe via le Moyen-Orient, l’Ethiopie et l’Egypte dont les Tutsi seraient les descendants. Métissées, elles seraient à l’origine de l’apport de traits de civilisation supérieure en Afrique. En parallèle est théorisée la catégorie des Bantous, catégorie linguistique, culturelle et raciale inférieure. En arrivant au Rwanda, les Européens ont repris ces différenciations pour les adapter au contexte local en déformant les catégories préexistantes et en les ethnicisant. Ainsi, ce qui n’était au départ qu’une différenciation socio-économique se transforme en catégories ethniques fondées sur une histoire mythifiée et de prétendues différences sociales et anthropologiques : les Tutsi seraient plus grands, plus élancés, plus intelligents et fourbes que les Hutu plus petits et plus honnêtes. Les Twa, marginaux, sont associés aux Pygmées semi-sauvages.

Dans ce contexte, les colons belges font le choix de s’appuyer sur la minorité tutsi, proche de la monarchie traditionnelle rwandaise, jugée plus apte à diriger, dans le but d’appuyer leur domination sur le territoire du Rwanda en la féodalisant. La majorité hutu se trouve de fait dirigée par une minorité tutsi dans le cadre de la monarchie conservée et soutenue par le pouvoir colonial. Dans ce cadre, l’alphabétisation de la population est consolidée par le biais de l’action des écoles catholiques. Il se forme une élite tutsi associée au pouvoir et une élite hutu frustrée. Ainsi, la racialisation de la société rwandaise s’accentue au profit des colonisateurs belges.

Dès les années 1930, les pratiques ségrégatives et discriminatoires sont symbolisés par la création d’une carte d’identité qui mentionne l’appartenance Tutsi, Hutu ou Twa. Cette politique de classification va progressivement exacerber les tensions entre rwandais. Un mouvement d’opposition à la domination tutsi se développe peu à peu chez les Hutu et trouve son expression dans le manifeste des Bahutu. Publié en 1957, ce texte radicalise les différences hutu et tutsi et s’oppose au monopole à la fois économique, social, culturel et politique des Tutsi. Dans le même temps, les années 1950 s’inscrivent dans un contexte d’après-guerre marqué par la montée des mouvements d’émancipation et de décolonisations. Particulièrement réceptive à la contestation de la domination coloniale, l’élite tutsi perd le soutien des colons belges qui profite désormais aux Hutu.

Des violences révolutionnaires couvertes par le pouvoir colonial débutent à l’hiver 1959 et prennent la forme de persécutions contre les Tutsi. Elles se poursuivent selon une logique de séparation ethniciste. Plusieurs milliers de Tutsi sont poussés à l’exil à l’intérieur du Rwanda (notamment au sud du pays dans la province du Bugesera) et vers l’extérieur du territoire (notamment en Ouganda et au Burundi). C’est dans ce contexte de retournement des pouvoirs et de violence contre la minorité tutsi que la monarchie est abolie en 1961 et remplacée par la Première République. L’indépendance du Rwanda est proclamée en 1962.

Dirigée par Grégoire Kayibanda, la Première République indépendante du Rwanda promeut une politique d’exclusion des Tutsi auprès de la population civile. En 1965, le Parmehutu (parti présidentiel) devient parti unique et renforce sa politique d’exclusion envers les Tutsi. Ces derniers furent « les boucs émissaires d’un régime en proie au risque d’implosion » [Florent Piton, 2018]. Entre 1963 et 1964, les massacres contre les populations tutsi se multiplient en particulier dans le sud du pays, dénoncés par certains occidentaux comme le Prix Nobel Bertrand Russel en février 1964. Au quotidien, les Tutsi font l’objet de railleries et d’humiliations. Qualifiés d’inaptes au travail physique et de parasites, ils sont accusés de « sucer le sang du peuple ». Les Tutsi sont appelés « inyenzi » pour signifier qu’ils pullulent et sont d’autant plus dangereux qu’ils avancent dans l’ombre.

Après le coup d’état du général-major Juvénal Habyarimana et la mise en place de la IIème République en juillet 1973 précédé par des pogroms anti-tutsi, le Rwanda connait une phase de développement jusqu’au début des années 1980, puis une crise économique qui se double d’une crise sociale, dans un pays à très forte densité et au morcellement des exploitations agricoles essentiellement extensives. Sur le front de la question ethnique, les Tutsi restent politiquement marginalisés au profit de l’autorité hutu (contrôle démographique, quotas dans les emplois publics et dans l’éducation, mention ethnique maintenue sur les papiers d’identité, etc.). En parallèle, nombre de familles tutsi trouvent dans l’exil un moyen de fuir les violences physiques, politiques et sociales. Juvénal Habyarimana reste par ailleurs fermement opposé au retour des exilés Tutsi. Au début des années 1990, de nombreux réfugiés rwandais sont en effet installés dans les pays limitrophes, notamment en Ouganda. C’est là que se forme en 1987 le Front patriotique rwandais (FPR), qui se compose d’exilés rwandais civils et militaires majoritairement tutsi mais aussi des Hutu opposés au pouvoir d’Habyarimana, ayant pour objectif de retourner au Rwanda et de transformer le pays (démocratisation).

La guerre au Rwanda

Le FPR passe à l’offensive le 1er octobre 1990 depuis l’Ouganda. Ses combattants (appelés Inkotanyi – combattants valeureux) réussissent en quelques jours une percée par le nord jusqu’à une soixantaine de kilomètres de Kigali. Grâce à l’aide de forces belges, françaises et zaïroises, l’armée rwandaise (FAR) redresse une situation militaire délicate. Le conflit se poursuit cependant sous la forme d’une guérilla menée par le FPR. Dans le même temps, le président Juvénal Habyarimana entreprend une prétendue démocratisation de la vie rwandaise en restaurant le multipartisme, en mettant en place un gouvernement de transition et en entamant des négociations avec le FPR malgré la contestation des extrémistes hutu. A cette période, les violences contre les populations tutsi de l’intérieur se multiplient.

Il faudra attendre le 4 août 1993 pour que soient signés, à la suite d’une offensive victorieuse du FPR (8 février 1993), les accords de paix d’Arusha (Tanzanie) et qu’un projet de gouvernement mixte de transition soit retenu, en même temps que la mise en place de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) sous la direction du général canadien Roméo Dallaire. Cependant, le soutien de l’Etat français (militaire, diplomatique et financier) au régime d’Habyarimana dans le cadre d’opérations spécifiques (opération Noroît en octobre 1990) conforte celui-ci dans son opposition à tout rapprochement avec le FPR. Favorable aux accords d’Arusha, l’Elysée poursuit dans les faits une politique de coopération étroite avec le pouvoir rwandais, dans le cadre de la géopolitique traditionnelle française dans la région des Grands Lacs (francophonie contre anglophonie du FPR).

Médias de propagandeLes conséquences de la guerre sur la société rwandaise se révèlent nombreuses et inquiétantes. La société civile est notamment militarisée au nom d’un programme d’auto-défense civile qui vise explicitement à se protéger des Tutsi. Dans ce contexte, on remarque notamment une augmentation des effectifs armés. Les extrémistes hutu profitent des errements du pouvoir et des tensions nées de la guerre pour imposer le « front ethnique » comme seule clé de lecture du conflit. Ils partagent une idéologie anti-tutsi qualifiée de Hutu Power. Meurtres et assassinats ponctuent la vie politique rwandaise sur fond de médiatisation accentué d’un discours anti-tutsi via la radio ou la presse dont notamment la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) et le journal Kangura qui publie notamment Les dix commandements des Bahutu dès le mois de décembre 1990. Un langage et une logique génocidaire se mettent en place, dénoncée dès 1993 par la communauté internationale. Les Tutsi de l’intérieur, accusés de soutien au FPR (Ibyitso), de terrorisme, sont les victimes de nombreux pogroms de 1990 à 1994, organisés par les autorités et le bras armés du parti au pouvoir, les milices Interahamwe. Le génocide est alors théorisé par les plus extrémistes au pouvoir et fondé sur une action concertée de l’armée, des autorités locales ainsi que des milices.

Le génocide

L’assassinat du président rwandais Juvénal Habyarimana le 6 avril apparaît comme le signal du début du génocide. Les Tutsi sont immédiatement accusés d’avoir commis l’attentat qui lui coute la vie. Dès les premières heures qui suivent, Kigali est quadrillée par les militaires et les milices. Les Tutsi et opposants au régime sont rapidement assassinés dont la première ministre Agathe Uwilingiyimana et dix Casques bleus belges chargés de sa protection. Alors qu’un gouvernement intérimaire se met en place, les massacres s’étendent dans tout le pays et se généralisent à partir du 12 avril dans une logique génocidaire contre les Tutsi. Idéologie raciste et diabolisation du FPR sont mobilisées pour entrainer les communautés rurales à « travailler » au massacre des voisins [Hélène Dumas, 2014]. Sur le million de victimes, deux tiers sont assassinés dans les cinq premières semaines du génocide. En trois mois, d’avril à juin 1994, les trois quarts de la population ont été massacrés dans les conditions rappelées ci-dessous :

Organisation des tueries

Le génocide est marqué par des massacres collectifs sur des lieux de rassemblement spontanés ou organisés (églises, écoles, stade de foot, etc) auxquels s’ajoutent les assassinats individuels y compris au sein des familles. Des expéditions quotidiennes sont organisées par les voisins et bandes armées (Ibitero) formées d’hommes, de femmes et parfois d’enfants qui partent à la recherche de survivants dans les collines, les champs, les marais et partout ailleurs.

Lieux des massacres

Les lieux de massacres sont multiples. Parmi ces lieux, on compte notamment les barrières dites « ethniques » érigées dans l’ensemble des communes, routes et chemins, comme points de contrôle pour vérifier les identités (cartes d’identité avec la mention ethnique) et tuer les Tutsi. A ces barrières s’ajoutent les bâtiments publics (écoles, bureaux communaux, hôpitaux) ; les espaces publics (collines, stades de football) ; les églises et lieux de culte où les Tutsi trouvent refuge lors des précédentes tueries. Les massacres sont ainsi facilités par le regroupement des Tutsi dans ces lieux où ils se pensent en sécurité. Ils sont aussi facilités par les connaissances topographiques des tueurs et leurs liens de proximité avec leurs victimes. Les corps de nombreuses victimes sont jetés dans le fleuve ou dans les latrines qui révèlent la dimension profanatrice des tueries.

Pratiques génocidaires et de cruauté, inscrites dans la logique génocidaire de détruire « l’ennemi »

Pendant le génocide, les meurtres sont commis par armes automatiques, grenades, armes blanches (machettes, gourdins cloutés), ou encore par noyade [voir Florent Piton, 2018, p. 127 – 14 techniques de mise à mort listées par le gouvernement rwandais (2004)]. Cette variété d’armes renvoi directement à la diversité des acteurs mobilisés dans la traque et le massacre des Tutsi pendant le génocide. Les pratiques génocidaires, aidées et encouragées par la RTLM, sont également pensées autour de la mise en place de camps de concentration avec exécutions quotidiennes, collectives et publiques. Les humiliations sont nombreuses parmi lesquelles la mise en esclavage, parfois sexuel ou encore l’obligation d’assister à la mise à mort de proches (mères, enfants avec atteintes à la filiation). Les viols avec transmission explicite du virus du Sida sont massifs tout autant que les mutilations notamment aux jambes pour « raccourcir » les Tutsi présentés comme plus élancés et plus grands que les Hutu et prétendument plus hautains.

Acteurs

Parmi les acteurs du génocide, on compte le gouvernement intérimaire et les responsables extrémistes des différents partis politiques hutu auxquels s’ajoutent l’Akazu ou clan présidentiel qui souhaite garder la main sur le pouvoir en agitant le spectre de la submersion tutsie. Parallèlement, l’armée mais aussi l’administration nationale et locale prennent part à nombre d’exécutions collectives mobilisées en même temps que les milices Interahamwe. Enfin, l’enrôlement de la population civile et du voisinage dans les tueries doit être souligné.

Le génocide s’accompagne de pillages et de destructions. Les bourreaux témoignent dans leurs récits d’un temps spécifique de consommation abondante d’alcool, de fêtes et festins collectifs rassemblant tueurs et pillards alors que les Tutsi rescapés des premiers massacres massifs d’avril tentent de survivre dans les marais, les collines, les champs, parfois cachés au sein de quelques familles hutu qui leur ont ouvert leurs portes [Jean Hatzfeld, 2021]. Les stratégies individuelles ou collectives de cache ou de résistance de la part des Tutsi (comme sur les collines de Bisesero près de Kibuye) se révèlent précaires devant l’acharnement génocidaire. Les facteurs explicatifs associés aux actions répétées des tueurs (ils seront entre 800 000 et 900 000 condamnés pour des faits liés au génocide) sont multiples : racisme antitutsi, brutalité, appât du gain, pression sociale ou attente d’une reconnaissance sociale.

Ressortissants étrangers, ONG et Casques bleus sont évacués au début des massacres. La France mobilise à cette occasion près de 500 soldats dans le cadre de l’opération Amaryllis (avril 1994), sans pour autant s’interposer ou sauver les populations tutsi. Seules quelques organisations comme le Comité international de la Croix Rouge (CICR) ou Médecin sans frontière (MSF) restent au Rwanda durant le génocide qui n’est nommé comme tel qu’à partir du mois de mai par la communauté internationale. A partir du 23 juin, la France met en place une nouvelle opération militaire qualifiée d’humanitaire à l’ouest du pays : l’opération Turquoise. Si Turquoise permet de sauver quelque 15 000 personnes, elle offre aux génocidaires, soutenus par la politique élyséenne, une opportunité de gagner les camps de réfugiés au Zaïre et de poursuivre la propagande et l’idéologie du génocide. Cette ambiguïté tend notamment à confirmer les responsabilités accablantes de l’Etat français dans le génocide et sa préparation [Rapport Duclert, 2021].

Le génocide prend fin avec la victoire militaire du FPR sur le terrain notamment avec la prise de Kigali le 4 juillet 1994 et de Gisenyi le 17 juillet 1994. Le 19 juillet, un gouvernement de transition est mis en place et rassemble des représentants de plusieurs formations politiques. Le pays est alors ravagé. Des dizaines de milliers de corps sont abandonnés sur les collines, dans les églises ou les autres lieux de massacres et des milliers de personnes se trouvent sur les routes de l’exil. L’ensemble de la région est durablement déstabilisé par l’onde de choc politique, sociale et militaire du génocide.

Pour obtenir des informations complémentaires, dirigez-vous vers le site d’Ibuka France

Pour visualiser notre film d’animation sur l’histoire du génocide : cliquez ici


Bibliographie

Texte rédigé par Alexandre Lafon (professeur agrégé d'histoire géographie), Damien Rwegera (anthropologue) 
et Chloé Créoff (chargée de mission, ligue de l'enseignement)